L'intégralité du témoignage de Léon Merlet sur la libération de La Charente-Maritime

Mis à jour le 03/11/2014
Il y a 70 ans, la libération de la Charente- Maritime : Léon MERLET témoigne

Léon Merlet est né le 23 août 1922 à La Ronde (17). Ayant refusé de descendre du trottoir pour laisser la place à un Allemand, il est arrêté en mai 1941 à Fontenay-le Comte pour insubordination envers un soldat allemand. Emmené à la kommandantur, il y est battu. Après un séjour au cachot, il est libéré mais avec la menace de le priver de ses papiers et considéré comme otage s’il ne quittait pas la ville immédiatement.

Réfractaire au Service du Travail Obligatoire en Allemagne (STO) à compter de juin 1943, il se réfugie dans une ferme de Luchapt (Vienne) chez Monsieur Guéraud où il sert comme valet de ferme jusqu’en novembre 1943. A la suite d’une dénonciation pouvant mettre la famille Guéraud en danger, il rentre, à vélo par des chemins détournés pour éviter les Allemands, à La Ronde chez ses parents. Il y reste caché durant un mois et demi de novembre à fin décembre 1943. Grâce à une jeune fille, secrétaire à la mine de Faymoreau, il obtient des papiers et une carte de travail. Porteur d’un Aussweiss, il travaille comme mineur de fond à la mine de charbon de Faymoreau de fin décembre 1943 à juin 1944.

 

Eté 1944, vous rentrez dans le maquis, pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

Léon MERLET : Au début de l’été 1944, j’ai décidé de prendre le maquis. A Fontenay, j’ai fait la connaissance de trois garçons. On a attendu un ordre de rassemblement dans un moulin durant une semaine, puis on a reçu l’ordre de se rendre dans un pré où des parachutistes français du 3ème bataillon SAS du commandant de La Roche-Jobert sont venus nous chercher. En août 1944, nous avons rejoins le Maquis de Lys 1 (du nom du château de La Chapelle aux Lys, en Vendée) sous le commandement du sous-lieutenant parachutiste Héricourt. Nous avons formé des équipes destinées aux sabotages, attaques de convois, embuscades sur les chemins départementaux par groupe de cinq, quatre civils et un para. Nous étions armés d’un fusil et de quelques grenades provenant de parachutages puis de Mausers pris aux Allemands, et de fusils mitrailleurs Bren

Nous avons conduit des embuscades et attaques de convois allemands remontant du sud-ouest vers la Normandie dans la région de l’Absie, Cerisay, Parthenay (79). Nous avons eu plusieurs tués. Le maquis du Lys était constitué d’une centaine d’hommes d’origines diverses (étudiants, mineurs, jeunes de la région, surtout français et polonais de la mine de Faymoreau) et du 5ème STICK (8 hommes) de la 3ème Cie SAS aux ordres du capitaine Fournier.

Le Maquis du Lys a été honoré en la personne du sous-lieutenant Héricourt et de ses « rattachés » d’une citation à l’ordre du corps d’armée.

En septembre 1944, le Maquis du Lys est incorporé dans l’armée régulière, les combats s’organisent et s’intensifient.

Léon Merlet : La Vendée étant libérée, mi-septembre 1944, le maquis a pris position entre Marans et Charron sur le canal de la Brune. Les Allemands sont sur le Curé avec de l’artillerie à 700 ou 800 mètres. Les effectifs du Maquis du Lys sont complétés par des jeunes résistants de la région qui forment les 4ème et 5ème bataillons du 93ème Régiment d’infanterie. Nous avons été « habillés», jusqu’alors nous étions avec nos vêtements civils. A partir de ce moment, en cas de capture nous serons considérés comme militaires, ce qui nous évitera le sort qui fut réservé à certains de nos camarades pris et fusillés. Nous occupons en fait une ligne d’avant-poste. Rien derrière nous. Nous restons 42 jours en position. La population nous ravitaille. Avec l’arrivée de l’hiver, le climat devient rude, les canaux gelés sont notre meilleure défense.

De nombreuses escarmouches ont lieu avant l’attaque allemande du 15 janvier 1945. Environ 500 hommes sur 6 km2 ne disposant que d’armes légères (fusils et quelques mortiers) font face à 1500 allemands, bien armés et soutenus par l’artillerie, des voitures et un train blindé. Nous avons tenu 2 heures. Ma section s’est repliée dans le marais qui rejoint la route de Charron. Ce fut un repli par à-coups. Avec trois de mes camarades, nous avons tenté de protéger le repli des autres mais nous avons du nous rendre, cernés et faute de munitions. Les Allemands se sont ensuite servis de nous comme par-balles. L’Allemand, à côté de moi, a été abattu par des maquisards. La balle est passée très près de moi. On compte plusieurs dizaines de tués dans nos rangs et environ 200 prisonniers piégés car encerclés et à bout de munitions. Internés d’abord à la caserne Renaudin, la plupart d’entre nous ont été transférés fin janvier je crois au camp de La Sauzaie à Saint-Xandre. J’en étais. Trois de ceux qui sont restés à Renaudin ont tenté de s’évader et ont été assassinés par un soldat allemand dans un couloir. Il y a une plaque en leur mémoire sur le mur de la caserne.

Alors qu’une grande partie du pays est libre en ce début 1945, vous êtes incarcéré.

Léon Merlet : Le camp de prisonniers de La Sauzaie est un camp classique avec plusieurs enceintes barbelées et miradors entouré de terrains minés : des baraquements d’une centaine d’hommes (je crois) chauffés par un poêle à bois, des châlits à trois niveaux avec comme matelas un grillage tendu individuel, discipline allemande avec nombreux rassemblements, des conditions de vie difficiles en ce qui concerne le ravitaillement. Des colis sont cependant arrivés après le passage de la Croix-Rouge suédoise en Mars 1945. Il n’y avait peu ou pas d’exactions mais des corvées parfois en dehors du camp.

Des tentatives d’évasion ont parfois réussi. Pour ma part, j’ai essayé avec trois camarades. On avait fait un trou dans le grillage après avoir vu qu’un chien avait réussi à passer sur le terrain devant sans sauter sur une mine. On a tiré à la courte paille, je fus le deuxième. Juste avant de m’engager dans le trou, le premier a sauté sur une mine et a eu le genou broyé. Nous sommes retournés au baraquement sauf lui bien entendu. Nous étions plusieurs centaines (500 je pense) provenant de divers régiments en ligne devant la poche, pour la plupart ex FTP et FFI, et quelques officiers cantonnés à part.

Et enfin, la libération.

Léon Merlet : Nous avons été libérés le 6 mai 1945. En train, à pied puis en camion militaire, nous avons rejoint la Roche-sur-Yon. Après une permission d’un mois, c’est la réincorporation à Saint-Jean d’Angély d’où nous partons début juillet 1945, les uns pour la Touraine (91ème RI) dans la vallée de l’Indre, les autres, ceux qui étaient volontaires, pour l’Indochine et incorporés dans les troupes parachutistes.

En ce qui me concerne, malade, atteint de pleurésie contractée à la Sauzaie, c’est l’hôpital militaire de Tours puis le renvoi fin août 1945 « dans mes foyers » comme RT2. Je suis démobilisé en octobre 1945.

C’était il y a 70 ans, aujourd’hui quel sentiment sur ces mois de combats et de libération ?

Léon Merlet : Nous voulions nous battre et aider à chasser les Allemands. Les conditions de combat notamment devant Marans ont été très difficiles en raison du temps (froid allant jusqu’à -15°), de nos équipements non adaptés, de la faiblesse de notre armement (armes légères seulement) et du manque de munitions. Il y avait derrière nous, à moins de 30 kms des troupes importantes et très bien équipées. Nous n’avons pas en dépit des demandes été secourus en temps utile. Nous gardons tous une immense amertume de cette situation et le regret de nos camarades perdus « pour rien ». Nous n’avons, en effet, jamais été informés des accords passés par notre commandement avec les Allemands de la Poche de La Rochelle qui ont été dévoilés bien après la fin de la guerre. Cependant, nous sommes fiers d’avoir tenté de faire face dans ces conditions.